Le meilleur Plaid des années 90

Un petit jeté de canapé, une couverture douce pour se réchauffer les petons. Quelle meilleure définition pour la musique de Plaid ?

Faire découvrir leur dernier album « Reachy Prints » sera ma contribution au revival 90’s puisque j’ai interviewé ce groupe anglais à une époque où leur label Warp donnait le la en matière d' »Intelligent techno » et où Björk s’égosillait sur leurs rythmiques de coffres à jouets et leur nappes caressantes. Ce qui n’empêchait pas Plaid de verser dans la critique féroce du consumérisme et de l’esprit « corporate », comme sur ce redoutable Itsu, bel hommage à l’élevage porcin Breton.

« To be kind » des Swans n’a justement pas envie d’être aimable

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Ceci n’est pas un blog gothique. J’ai pourtant envie de vous conseiller le beau, brut et acre dernier album des Swans. Dense et sans compromis, sorti sur leur propre label Young God Records. « To be kind », est double, comme ses prédécesseurs. Ce qui rend d’autant plus précieuse la plénitude lyrique qui survient sans coup férir au détour de ses martèlements rythmiques hantés.

Ce groupe issu de la no-wave new-yorkaise mené par Michael Gira continue de peindre d’opaques natures mortes mêlant primitivisme rock, grondements vocaux néandertaliens, accords ciselés de violon ou mandoline comme francs dérapages bruitistes. Là où Nick Cave peut lasser dans sa posture de Dandy ténébreux, les Swans perfectionnent un peu plus à chaque album leur maelstrom poly-instrumental hérité des symphonies pour guitares électriques de Glenn Branca. Ici, la voix n’est pas là pour porter une mélodie mais se révèle un instrument parmi les autres.

Depuis 1983 et leur album « Filth », bloc de bile, de métal concassé et d’humeur noire, les Swans ne dorment pas. Ils veillent sur nos angoisses, nos peurs paniques et nos remords. Répétant ad nauséam un fascinant et orageux chant du cygne.

La horde sauvage Wu-Tang lutte pour sortir son sixième album

Depuis ses débuts, l’existence du mythique groupe hip-hop de New-York Wu-Tang Clan tient du miracle. N’ont-ils pas bousculées dès leur premier opus en 1993 les règles de l’industrie du disque en signant chez Loud/Sony à condition que chacun des membres ait la possibilité de choisir une autre major ? Leur cohésion est de nouveau mise à rude épreuve : RZA, le producteur et architecte sonore, n’a pas exclu de renoncer à sortir leur sixième album « A Better Tomorrow » s’il ne parvenait pas à convaincre Raekwon d’apparaître sur le disque. Un Raekwon qui s’est déclaré « en grève ». Pour RZA, c’est le casse-tête chinois : comment rassembler en studio et juguler les énergies de sept individualités aussi fortes ?  Sept talents hors normes, sept mercenaires, sept samourais, seven swords pour filer la référence au cinéma de hong-kong et au réalisateur Tsui Hark. C’est ce cinéma, et plus précisément celui des films de sabre de la Shaw Brothers dont se sont gavés adolescents, dans les cinémas miteux de Staten Island, les membres du Wu Tang. Y puisant leurs inénarrables samples sentencieux de moines s’apprêtant à mettre une raclée à d’impies adversaires, mâtinés de beats rêches et de boucles soul 70’s pour obtenir ce son si caractéristique qui allait aboutir au renouveau du rap new-yorkais.

Avant le décès de l’olibrius Ol’ Dirty Bastard, le plus déjanté de tous, les Wu-Tang étaient même huit : GZA le plus agé, cousin de RZA, Method Man, au timbre ensorceleur, Raekwon The Chief, le persévérant Ghostface Killah au flow puissant qui s’est récemment illustré avec son brillant « Twelve reasons to die ».

Sans oublier des membres plus mineurs comme Masta Killa, U-God, Inspectah Deck. Le « crew » connut la queue de comète du disque, dans le bruit et la fureur, fit beaucoup d’argent dans un certain chaos (quelques liasses ont du bien se perdre par ci par là). Tellement imprévisibles et pas calés sur scène qu’ils furent effacés par deux marlous de Saint-Denis, Joey Starr et Kool Shen de NTM, qui assuraient la première partie lors d’une date du Wu à Paris. Face à une industrie de la musique enregistrée déclinante, les « moines de Shaolin » élaborent aujourd’hui des stratégies obliques. Préparant en parallèle de la sortie de leur prochain album « officiel » celle d’un disque à tirage unique au packaging d’oeuvre d’art destiné à être vendu aux enchères. Un substitut au cash flow que ne peuvent plus générer les ventes de CD.

 

 

Sexy Sushi, les monstres sont en tournée mondiale

Entre Jean-Louis Costes et Anne Laplantine, pour ceux qui maîtrisent ces glorieuses références, Nantes a accouché d’un monstre délicieux qui s’appelle Sexy Sushi. Comment un tel groupe foutraque est-il capable de faire une tournée mondiale qui passera par Genève le 17 avril, Pékin le 10 mai ou Guadalajara au Mexique le 22 mai ? Réponse en images avec ce concert à Rennes : on ne s’ennuie visiblement pas sur scène avec cet incontrôlable duo d’agitateurs constitué de Reby Warrior et Mitch Silver.

Flirtant tout le temps avec le n’importe quoi, Sexy Sushi shoote dans le tas de névroses jadis bien planquées sous le tapis de Madame Figaro. Et remixe Didier Super avec la techno de Detroit, malaxe la hargne de Berurier Noir ou le nihilisme potache de Stupeflip avec la raideur rythmique et la morgue sonique de Miss Kittin ou The Hacker.

« Les nuits de la pleine lune » d’Éric Rohmer

« Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd la raison »

Ce qui a longtemps été un de mes Rohmer préférés – pour la musique d’Elli & Jacno, la précision horlogère avec laquelle les êtres sont mis en scène, les performances incroyables de Pascale Ogier ou de Fabrice Luchini – m’apparaît aujourd’hui légèrement dévalué. Si à l’époque où il filmait, Rohmer enregistrait impeccablement les tatonnements et déconvenues d’une génération qui expérimentait encore l’émancipation des femmes, le propos a vieilli. Et la morale austère de Rohmer résonne funestement en 2014, quand la pauvre Pascale Ogier, aussi agaçante et allumeuse qu’elle soit, se retrouve à la rue juste parce qu’elle a voulu expérimenter en toute liberté et jouir de son pouvoir de séduction.

Le chaos libérateur d’Anarchist republic of Bzzz

Anarchist

Derrière cette somptueuse pochette signée du « Propaganda Minister » Kiki Picasso (papa du réalisateur de « La crème de la crème » Kim Chapiron) se cache un des projets musicaux les plus étonnants de ces dernières années. Des riffs de guitare saignants estampillés du sceau de la no wave nawe-yorkaise signés Arto Lindsay et Marc Ribot sont séquencés, concassés entre d’énormes bulles de rythmes. Dans une atmosphère free-jazz vociférent et s’entrelardent les flows complémentaires des hip-hopers Mike Ladd et Sensational. Personnellement, je n’avais pas entendu un tel vent de folie depuis le Bristolien Mark Stewart and the Maffias et son hip-hop dub post industriel. L’impression de soulever une lourde plaque d’égout et d’être happé par des effluves sonores un peu lourdes et compactes au premier abord mais au final fascinantes et addictives. Le disque n’était jusqu’ici disponible qu’en vinyle, le revoici en CD respectant le design d’origine, avec cinq remixes signés David Fenech, Baba Zula ou Berangere Maximin. Sans concessions, inventif, original et brut de décoffrage.

 

Rap anglais d’hier et d’aujourd’hui

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Quels points communs entre The Criminal Minds et Sleaford Mods ? Pas grand chose à part que ce sont des anglais qui rappent ici. Pourtant les deux groupes, dans des styles très éloignés, à trente ans d’écart, incarnent bien l’utopie du rap britannique. Un pays à la culture musicale trop infusée de pop ou de dance pour qu’un mouvement aussi pluridisciplinaire tel que le hip-hop ait pu devenir une vague de masse. The Criminal Minds (à ne pas confondre avec « Criminal Minded » le classique de Boogie Down Productions) réédités il y a trois ans sur le label Rephlex d’Aphex Twin, incarnent justement une veine rap gorgée de breakbeats pas très éloignée des convulsions de Shut Up and Dance. Rythmique proche de la tachychardie donc, flows assassins circa 1985 et boucles samplées culotées, juste énormes (John Williams et « Star Wars » sur ce titre).

Mais si le rap n’a pas pris en Angleterre, c’est aussi probablement parce que sa « street attitude » et sa culture ouvrière insulaires y sont extrêmement puissantes. Pas besoin de NWA ou du « Message » de Grandmaster Flash quand on a déjà les réglements de comptes à coups de queues de billard, les pubs poisseux, les pittbulls vociférants, les nuques rasées de près. Cette tradition de « Lads » nerveux est brillamment perpétuée par Sleaford Mods et leur slam punk. Sur une ryhtmique minimale et des basses grondantes, quelques gimmicks électroniques discrets se mettent au service des chroniques désabusées de Jason Williamson et de son timbre rauque qu’on imagine cassé par les cigarettes Craven sans filtres.

Punks ? MC ? Slammeurs ? Prolos ? Sleaford Mods sont un peu tout ça. Ce duo héritier de Mike Skinner et de The Streets (en largement moins clubby) posait pour son album « Austerity Dogs » près d’un container de récupération de vêtements. Fourbissant la bande-son parfaite des émeutes de Londres de 2011. Et de l’impasse libérale britannique avec ses coupes budgétaires drastiques dans les budgets sociaux. Tant il est vrai que ce qui sépare un pacte d’austérité de « riots », de pillages en règle de magasins par des « looters » (émeutiers) est souvent aussi épais qu’un sous-bock de Guinness.

Leur nouvel album « Divide and exit » sortira le lundi 28 avril.

At last j’écoute « Run the jewels » de El-p et Killer Mike

Crépitant, digital, fait de beats brinquebalants qui tapent comme des portes de sas détraquées, ce « Run the jewels » me faisait de l’oeil depuis un moment. Il est l’oeuvre de deux fortes personnalités : Killer Mike, ogre du dirty south au flow turbo qui avale les versets avec la vélocité d’un alligator. À la production, une des têtes chercheuses du hip hop actuel, El-P (« El-Producto« ), tient en haleine avec ses compositions en trompe-l’oeil, des cassures de tempos bluffantes, véritables échafaudages de rythmes bileux et de scratchs malades. El-P, qui sait également rapper en apné, avait déjà bien marqué le hip-hop US de son empreinte avec son groupe culte Company Flow (formation ayant aussi enfanté les carrières solo de Bigg Jus ou Mr Len). Il est le fondateur d’un excellent label indé (Def Jux, clin d’oeil déglingué au Def Jam de Public Enemy et à leur équipe de production Bomb Squad, qu’il vénére). Le voici de retour en tandem impeccable avec Killer Mike, dont il avait produit précédemment un album.

Pas forcément toujours très groovy mais indispensable pour les amateurs de « sci-fi rap » et autres geeks adeptes de « special FX ».